Toto le cuistot

Toto le cuistot

Exigeant comme les grands chefs, il n’a cure de mon budget et ne tolère que des ingrédients de qualité supérieure. Pour m’assurer de toujours lui plaire, je dois lui fournir uniquement des aliments biologiques. Il accepte cependant que je triche un peu, mais pas trop tout de même. Alors parfois, en fonction de ses humeurs, je substitue le bio pour du simplement local. Quand j’ai le toupet de lui offrir de la farine de blé, non biologique de surcroît, je m’attire ses foudres les plus violentes et c’en est fini de ma journée. Lorsque voulant tromper sa vigilance, je lui sers du lait de vache sans lactose alors qu’il m’a bien dit qu’il n’emploie absolument pas de produits laitiers d’origine animale, je me fais taper sur les doigts. Et même quand je lui donne du lait d’amandes, s’il y a du sucre ajouté, il me fait des remontrances.

Le matin, il faut marcher sur des œufs avec lui. D’ailleurs, ceux que je lui offre doivent également être biologiques. Il refuse de débuter sa journée avec des produits raffinés ou un produit froid. Il insiste pour du “sans sucre”, à faible indice glycémique et chaud de préférence.

Il déteste tout ce qui est chimique. Car la chimie, il préfère s’en charger lui-même. Très pointilleux sur les quantités, il veille aussi à ce que je ne me mêle pas les pinceaux dans l’ordre des ingrédients. Gare à moi si je lui donne des fruits après des pommes de terre, du riz ou des pâtes. C’est avec une célérité déconcertante qu’il se charge de transformer tout cela en alcool. Il me boude si je ne lui offre pas assez d’eau. Et j’ai intérêt à le faire avant qu’il ne se mette au travail.

Parfois, il m’agace sincèrement. Mais malgré ses exigences de grand chef, je me dois de le satisfaire si je veux qu’il me nourrisse sans m’empoisonner. Il a le bon bout du bâton, je ne suis que son aide de cuisine. Je lui fournis les ingrédients et il se charge d’en faire un festin ou un venin. En plus d’être un chef, le mien en l’occurrence, il est surtout mon colocataire et je dois me le coltiner pour la vie. Alors je mets tout en œuvre pour toujours lui plaire afin que ma vie soit la plus paisible possible.

Lui, c’est Toto, mon estomac qui se prend pour un cuistot.

 Annie-Josiane Sessou